Un article de Jérôme MONANGE de Lab Luxury and Retail pour Mood Media

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A propos de Jérôme Monange :

Conseil Marketing et Communication au sein du « Lab LUXURY and RETAIL ® », il a créé les groupes de réflexion « Lab Retail 2025 » et « Lab Luxury and Retail 2025 ». Il est reconnu aujourd’hui comme expert de la mutation du commerce (avec pour focus : magasin de demain, hybridation du retail, et expérience client) ainsi qu’influenceur.

Quelle est la situation de l’expérience client dans le secteur du luxe ?

Historique de l’expérience client dans le luxe

Le passage du luxe moderne au luxe contemporain a fait évoluer les maisons de luxe d’un centrage offre produit à une prise en compte des attentes clients, d’une marque supérieure au client en quelque sorte à un client devenu aussi important (sinon supérieur) à la marque et en établissant un nouvel équilibre.

Cette prise en compte d’une approche désormais customer centric va permettre de développer la notion d’expérience client qui répond non seulement à l’évolution des comportements clients mais aussi aux besoins émotionnels du consommateur contemporain où excellence et qualité des biens de luxe ne suffisent plus.

L’expérience client devient non seulement holistique, mais nous pouvons ajouter qu’elle constitue désormais une catégorie d’offre supplémentaire liée à la notion de bien-être, en sus du produit et service offert par la marque.

Le « parcours d’achat » devient un « parcours expérientiel »

Cette évolution signifie que les entreprises de luxe qui désirent passer d’une approche centrée sur les caractéristiques intangibles du produit, à une approche réellement centrée sur le client, doivent impliquer l’ensemble de l’organisation et des silos de l’entreprise, et ce dans toutes les étapes de l’élaboration de l’offre… et c’est spécifiquement sur ce point qu’il reste encore de grands chantiers à construire pour nombre de marques de luxe.

Sur un marché qui représentait 262 milliards € en 2017, les Millennials (1980 /2000) constituent 45% des consommateurs du luxe, soit quasiment 1 acheteur sur 2.

La demande d’expérience répond aux attentes des nouveaux consommateurs du luxe :
– 68% des Millennials sont en demande d’expériences intégrées et multi-channel,
– 62% des 18-26 ans préfèrent dépenser 10 000 $ pour une expérience, contre 38% pour un produit,
– 46% de ces Millennials sont prêts à partager leurs données personnelles pour obtenir une expérience personnalisée.
(Source DISKO)

A cela se rajoute le pouvoir d’achat de la génération Z (nés après 2000), estimé à 44 Milliards €. Si les attentes de cette génération sont portées sur les valeurs fondamentales (égalitarisme, environnement, genre…), la demande d’expérience vient en seconde position. Nous sommes donc entrés dans une ère de l’économie de l’expérience.

Le cabinet consulting McKinsey confirme :

“Si vous êtes face au choix de l’achat d’un trench d’une marque reconnue, d’un appareil électronique, ou d’un séjour dans un grand hôtel, il y a de fortes chances pour que vous optiez pour la troisième option. Les marques de luxe l’ont compris et cherchent à devenir avant tout une destination centrée sur l’expérience”.

Et tous les secteurs du luxe sont concernés.

Prenons l’exemple de l’ouverture fin 2017 de la boutique Louis Vuitton, place Vendôme. Cet écrin de 1700m2 du numéro 1 du luxe mondial, où l’on rentre plus comme dans un musée qu’une boutique, a été conçu par un architecte de renom : Peter Marino. Il en a fait un espace inspirationnel et immersif invitant à la découverte, preuve en est l’intégration de près d’une trentaine œuvres d’art.

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Tout au long de sa visite des 4 étages, chaque invité privilégié (et non client) est accompagné par un conseiller en charge de la transmission de l’expérience (et non vendeur) qui initie au savoir-faire de la marque, ou à ses récentes collaborations artistiques, non sans une pincée de storytelling sur chaque produit de la marque présenté, en incitant l’invité intéressé à découvrir par lui-même la façon et le produit.

Le luxe est-il toujours en tête de l’innovation dans l’expérience client?

Difficile équilibre entre héritage et innovation, entre intemporalité et renouvellement, qui est la définition même du luxe contemporain. Les marques de luxe sont valeurs d’exemple dans la relation client sur leurs points de vente, mais leurs différences s’estompent, voire s’annihile sur le Web, où elles se retrouvent à un niveau similaire à n’importe quel site e-commerce.

Se posent alors un certain nombre d’interrogations :
Comment offrir une qualité de service que les pure players maîtrisent déjà ? Amazon Prime vous livre vos commandes en moins d’une heure et ce même tard en soirée et hors de question pour le luxe d’être comparé à un distributeur.

Quelle est actuellement la marque de luxe capable de proposer un service équivalent sur l’ensemble de ses produits ? D’autre part, comment faire passer l’émotion et les valeurs de marque dans une expérience autre que celle du magasin ? Alors quel est le défi d’aujourd’hui ?

« Réenchanter » les points de vente pour une clientèle dont les modes de vie et de consommation ont été bouleversés par l’arrivée du Web.
« Les gens veulent vivre une expérience quand ils poussent les portes d’une boutique, pas seulement faire des achats. »
Savez-vous qui est l’auteur de cette assertion ? La direction retail de marque Chanel, Hermès ? … Non, il s’agit de Sandrine Deveaux, la directrice manager de Store of the Future chez Farfetch.

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Farfetch est une plateforme internet globale pour l’industrie du Luxe, que Chanel a d’ailleurs rejoint en janvier 2018 via une prise de participation, qui a été créée dès 2008 sur l’idée du fondateur José Neves qui s’étonnait que la technologie révolutionnait toutes les industries mais ne semblait pas encore avoir touché l’industrie du luxe.

Partant du constat que le retail physique représente dans le luxe encore 92% des ventes, et que même si le commerce du luxe sur internet est appelé à représenter 12% de ventes en 2020 et 25% des ventes d’ici 2025, au moins 80% des ventes continueraient à se réaliser en boutique physique.

Le fondateur souhaite continuer à mettre le client au centre de son parcours d’achat qu’il soit online ou offline :

« Le magasin doit pouvoir permettre d’apporter des datas aussi bien que sur le Web, c’est le cookie offline qui devient la boucle entre une présence en ligne et une offre omnicanale complète, apportant ainsi une technologie qui augmentera l’expérience client en magasin et dans son ensemble »

José Neves, Farfetch Founder, Co- Chairman & CEO

Dans ses magasins « THE STORE OF THE FUTURE » présents à New York dans le département store Brown’s, la boutique vous reconnaît dès la porte franchie grâce à votre login et vous propose :

  • Des offres exclusives offline,
  • La proposition physique de votre wishlist,
  • Des cabines d’essayage avec un miroir numérique sur lequel on peut commander taille ou couleur,
  • De la personnalisation.

Tout cela grâce à l’utilisation intelligente des données pour un meilleur service et une expérience sans couture.

Ainsi le constat s’impose, ce sont plutôt les plateformes de mode qui ont été pionnières en termes de qualité de service, de pratiques et de création de contenu, alors que la plupart des marques de luxe restent encore majoritairement traditionnelles dans leur communication, à l’exception d’une présence importante sur Instagram, et dans leur manière d’interagir avec le client.
Jusqu’alors, très souvent, les groupes de luxe ont confié ces savoirs-faire serviciels à des conciergeries externes, voire même une partie où l’entièreté de leur capacité digitale à des pure players de luxe.

Le mouvement aujourd’hui est en cours d’inversion, l’exemple de l’internalisation des activités e-commerce de Kering mettant fin à sa joint-venture avec Yoox-Net à Porter n’est-il pas le signe d’un point de maturité du luxe / digital dont la finalité ne peut-être que bénéfique à l’expérience du client ? Y compris en boutique ?

En quoi le luxe est un secteur particulier en terme d’expérience client ?

D’une part, le marché du luxe a toujours impliqué de vendre d’excellents produits, en offrant un service irréprochable, dans des endroits superbes qui doivent faire la différence et, d’autre part, immerger le client dans l’univers symbolique de la marque.

Quel rôle pour le magasin dans ce parcours expérientiel ?

Le magasin a toujours été l’axe central de l’expérience client du luxe. Cet écrin doit être le reflet des valeurs de la marque au-delà des scénographies et de l’immersion dans l’univers de marque. Le magasin doit permettre aujourd’hui l’optimisation de l’offre de service.

Le luxe a toujours valorisé l’expérience client en magasin à une expérience client personnalisée, en fonction du profil client et du carnet personnel du vendeur / clientèle hier, à l’IA demain, en passant aujuourd’hui par le traitement des données CRM qui permettent une contextualisation de l’offre. Et demain, à une expérience client phygital alliant puissance du digital et du physique, pour les marques les plus avancées, allant au-delà de la simple technologie (écrans, RA, réalité virtuelle, hologrammes, vidéo) dans l’offre in-store pour offrir au client une expérience omnicanale et sur-mesure appuyée par un personnel dont le rôle d’accompagnement se doit d’être repensé dans une stratégie de transformation numérique globale.

Plus que le rôle de la boutique dans le luxe, c’est le rôle des porteurs d’expérience de luxe, c’est-à-dire des vendeurs du luxe, qui devient plus que jamais stratégique pour les marques. En effet, plus le digital devient omniscient, plus le besoin d’interaction humaine devient importante aux yeux du client.

Une récente étude IFOP sur le luxe révélait les 3 actions les plus impactantes pour créer une bonne expérience en boutique :
– Personnaliser la relation entre vendeur et client pour 57% des personnes interrogées,
– Personnaliser l’expérience dans chaque point de vente pour éviter la standardisation pour 48% d’entre elles,
– Faire du point de vente un lieu d’expérience plus global en accès libre à tous pour 48% des personnes sondées.

Le challenge des marques de luxe est désormais de proposer une expérience omnicanale “seamless” qui permet au client de s’immerger dans l’univers de la marque en passant d’un point de contact à l’autre sans s’en rendre compte (Web, réseaux sociaux, boutique on ou offline). Cette stratégie expérientielle omnicanale se produit tout d’abord parce que la marque respecte les valeurs fondamentales attachées à l’expérience de luxe, liées aux valeurs sociales, mais aussi par la reconnaissance de la personne dans le lieu, qu’il soit digital ou non, ensuite grâce aux valeurs émotionnelles qui contribuent au sentiment d’évasion et d’immersion recherché par le client lors de sa visite, et enfin grâce à la nécessité d’une relation humaine de qualité.

Aujourd’hui dans une économie de l’expérience, l’expérience de marque qui mélange immersion dans les valeurs de la marque, sur-mesure, commodité, et qui répondra aux besoins humains d’émotion mais aussi au désir d’appartenance à une communauté, créera sans conteste préférence de marque et fidélité… Et quel support autre que la boutique pour offrir ce point d’ancrage expérientiel d’univers de marque ?